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01.07.2024Michel Abou Khalil: « Crans-Montana, un modèle de ville-monde »

michel abou khalil

Essayiste, dramaturge, acteur, Michel Abou Khalil a développé des rapports très forts avec la Suisse, même si sa passion pour le Liban reste intacte. Rencontre avec un intellectuel aux casquettes diverses, qui affirme qu'à Crans-Montana, on n'est jamais seul. «Il s’agit d’un modèle de ville-monde, un lieu de rencontre d’internationaux venant des quatre coins du globe.»


«En lisant Michel Abou Khalil, j’ai eu l’envie de reprendre Aristophane et ses pièces portant sur des problèmes politiques de son époque. Ainsi depuis toujours les écrivains de théâtre ont eu le courage d’aborder des thèmes d’actualité brûlants, le talent aidant, ils en font des pièces qui nous touchent aujourd’hui encore.» L’hommage coule de la plume de Pascal Couchepin, ancien président de la Confédération, extrait de la préface de l’essai Art et conflit – L’impact du théâtre au Liban. Elle dit beaucoup de l’auteur que nous rencontrons, Michel Abou Khalil, Libanais, Suisse, amoureux de Crans-Montana, intellectuel aux multiples casquettes et directeur de Swiss Made Culture, l’association créée sur le Haut-Plateau par l’ex-ambassadeur François Barras. «La population du Liban, poursuit Couchepin, a prouvé sa résilience, sa capacité dans une situation dramatique, d’inventer du neuf, de l’inédit.» Là encore, ce serait une signature parfaite pour Abou Khalil, dont voici l’histoire entre tristesse et allégresse. 


Ma mère, mon exemple 

L’homme est né en 1970. Un père fou de sport, de football, loin des milieux intellectuels. «Ma mère, en revanche, aimait la culture et lisait tout ce qui lui tombait sous la main, se souvient Michel. Elle était une élève exemplaire, mais comme beaucoup de femmes au Liban, elle n’a pas pu poursuivre des études à la fin de l’école obligatoire et a dû se marier. C’était comme ça chez nous. Cela a été une très grande frustration pour elle qui rêvait de devenir une intellectuelle.» 

Le dicton ne dit-il pas que la pomme ne tombe jamais bien loin de l’arbre? «Ce n’est pas faux, sourit l’acteur-scénariste-homme de théâtre. Je crois en effet que ma mère était très fière de moi, et qu’elle estimait que j’avais réalisé son rêve à elle.» 

 

L’écriture égoïste 

La plume agitait les pensées du jeune Michel.

«Dès que j’avais quelques sous, je me précipitais à la librairie pour acheter des livres. Je lisais presqu’autant que ma mère, et surtout, j’avais une vraie envie d’écrire.»

À l’école, poursuit-il, il étais un paradoxe «J'étais le cliché parfait du premier de classe, mais aussi celui du turbulent qui, dans son institut chrétien, passait plus de temps puni à genoux qu’assis sur sa chaise.» 

Aujourd’hui, Michel Abou Khalil a ses tiroirs remplis de scénarii inédits de pièces de théâtre et de films. «Ça ne me gêne pas que la plupart n’aient jamais été présentés au grand public. Depuis longtemps, je vis avec l’impression que l’écriture est un plaisir authentiquement égoïste.» Qu’il a consolidé en collectionnant les diplômes. Maîtrise en théâtre et en littérature. Doctorat en littérature. 

 

ADN libanais 

«Le Liban, enchaîne Michel, c’est tout pour moi. C’est mon ADN, ma sensibilité, un rêve perdu aussi. Il m’a beaucoup pris, à commencer par mon enfance, marquée du poids de la guerre civile. Je le démontre dans mon livre: le Liban résume bien le mythe de Sisyphe; à intervalles réguliers, mon pays doit tout recommencer, sans cesse se réinventer.» 

Et de citer John Paul Lederach, grand professeur de Notre-Dame University (Etats-Unis), connu pour son enseignement sur les problématiques issues des conflits. «Lederach a brisé cet éternel recommencement qui découle de la guerre et montré qu’on pouvait atteindre la paix en allant aux causes structurelles des dérèglements. Le Liban essaie de le faire. Mais c’est difficile. Oui, le Liban est un pays complexe. On dit parfois que c’est la Suisse du Proche-Orient, mais c’est inexac : il s’agit même de son absolu contraire.» Un avis tranché qu’il explique d’une jolie pirouette : 

«La Suisse a toujours pu compter sur ses banquiers. Moi, au Liban, comme des centaines de milliers de mes concitoyens, j’ai été volé par les banques. J’ai tout perdu dans la faillite du pays jusqu’à l’argent économisé patiemment pour ma retraite. J'ai surtout perdu toute confiance envers les banquiers libanais et les politiciens qui étaient censés défendre mes intérêts, alors que j'ai une grande confiance envers le système politique et économique durable de mon pays d’adoption.» 

 

La Suisse, deuxième patrie 

Dans ce Liban tiraillé, Michel Abou Khalil décroche le poste d’attaché culturel à l’Ambassade de Suisse. «Parce que je connaissais tout le milieu des artistes, et que je pouvais aller dans certains coins du pays où aucun diplomate ne posait les pieds.» L’ambassadeur de l’époque s’appelle François Barras. Les deux hommes vont s’apprécier au point que, plus tard, ils fondent ensemble à Crans-Montana, avec quelques amis, l’association Swiss Made Culture qu’il dirige aujourd’hui.

« J’étais venu ici en vacances, mais à présent, c’est vraiment ma deuxième patrie. Je suis Suisse. Plus que Suisse, Valaisan ^^! Quand j’entre dans le tunnel à St-Maurice, je me dis: ça y est, je suis à la maison.» Et d'ajouter: 

«Je ne sais pas comment je pourrais rendre un jour à ce pays, à cette région, tout ce qu’ils m’ont donné ! Je me fais donc le plus souvent possible un devoir d’être pour eux une valeur ajoutée.»

À titre d’exemple, l’année modèle de ville monde dernière, il s'est engagé comme président du comité d’organisation du 40e anniversaire de la Nuit des Neiges, œuvre caritative emblématique de la station.

 

Son idéal 

Sur le Haut-Plateau, ses talents d’organisateur de rencontres sont plus qu’appréciés. Et la réciproque est vraie également: 

«Crans-Montana est gravée dans mon cœur! Ici, partout, vous croisez la joie de vivre, des bons vivants, un mélange de local et d’international des plus agréables. C’est un peu mon idéal.» 

Et de compléter: «C’est ce que j’appellerais une station quatre-saisons. En clair, il n’y a pas réellement de basse saison comme on en connaît dans toutes les destinations touristiques. Du reste, on n’est jamais seul à Crans-Montana. Je dirai aussi qu’il s’agit d’un modèle de ville-monde, un lieu de rencontre d’internationaux venant des quatre coins du globe, ce qui génère de belles synergies ainsi que des nouvelles amitiés. La diversité des rencontres qu’on y fait crée une atmosphère dynamique, ouverte et enrichissante.» 

 

Par Jean-François Fournier